jeudi 28 septembre 2017

Marine Landrot sur De Lillo, l'homme qui tombe.



Se souvenir ? La mémoire prend des formes curieuses : réduite à l'état d'objet (un sac trouvé dans les décombres, qu'une victime essaie de restituer à son propriétaire) ou de nom déformé (dans la bouche des enfants, Ben Laden est devenu Bill Lawton), elle se contorsionne en vain sur les cahiers des patients d'un atelier d'écriture thérapeutique. Oublier ? Impossible quand la violence de l'attentat propulse des éclats de chair humaine (des « shrapnels organiques ») dans le corps des survivants, jusqu'à les transformer en mosaïques de réincarnations des morts. Alors chacun s'absente de lui-même, avec l'impression « d'être une jupe et un chemisier sans corps », se surprenant « à penser non pas en unités claires, dures, reliées, mais à seulement absorber ce qui vient, sortant les choses du temps et de la mémoire, pour les lâcher dans un espace sombre ». Absurde, insécure, joueuse, glissante, la langue de Don DeLillo est fidèle à sa légende. On retrouve, dans ses dialogues brefs et lancinants, la désolation beckettienne qui a toujours imprégné ses romans. Mais L'Homme qui tombe a aussi la suavité abasourdie d'Hiroshima mon amour, de Duras. Depuis le 11 septembre 2001, Don DeLillo n'a rien vu à New York. Tout est resté en suspens, comme un souffle retenu.


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