dimanche 26 février 2017

József Rippl-Rónai (1861–1927)


Saint-Ex

'est alors qu'apparut le renard.
-Bonjour, dit le renard.
-Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
-Je suis là, dit la voix, sous le pommier.
-Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli...
-Je suis un renard, dit le renard.
-Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
-Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
-Ah ! pardon, dit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta:
-Qu'est ce que signifie « apprivoiser » ?
-Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu!
-Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie « apprivoiser » ?
-Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
-Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
-C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens... »
-Créer des liens ?
-Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons.
Et je n' ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde...
-Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
-C'est possible, dit le renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses.
-Oh! ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince. Le renard parut très intrigué:
-Sur une autre planète ?
-Oui.
-Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?
-Non.
-Ça, c'est intéressant! Et des poules ?
-Non.
-Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée:
-Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince:
-S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il.
-Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de
temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
-On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis.
Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
-Que faut-il faire ? dit le petit prince.
-Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Le lendemain revint le petit prince.
-Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après- midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai; je découvrirai le prix du bonheur! Mais si tu viens
n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur. Il faut des rites.
-Qu'est-ce qu'un « rite » ? dit le petit prince.
-C'est aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances.
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche:
-Ah ! dit le renard... je pleurerai.
-C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal,
mais tu as voulu que je t'apprivoise...
-Bien sûr, dit le renard.
-Mais tu vas pleurer! dit le petit prince.
-Bien sûr, dit le renard.
-Alors tu n'y gagnes rien !
-j'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta:
-Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret.
Le petit prince s'en fut revoir les roses.
-Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient gênées.
-Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu' elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.
Et il revint vers le renard:
-Adieu, dit-il...
-Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit
bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
-L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.
-C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.
-C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... dit le petit prince, afin de se souvenir.
-Les hommes ont oublié, cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
-Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince, afin de se souvenir."(Antoine de Saint-Exupéry, Le petit prince)

lundi 20 février 2017

Shoji Ueda


Shoji Ueda n'a pratiquement jamais quitté sa région natale, à part un voyage en Europe dans les années 1970, et c’est à partir de son monde et de revues photographiques et de peintures occidentales, qu’il va construire son univers, humblement, discrètement, comme un cheminement spirituel. Immergé dans ses paysages naturels, loin des centres artistiques de Tokyo, il élabore une œuvre nombreuse, unique, avant de s'éteindre à l'âge de 87 ans.

Shoji Ueda est né le 27 mars 1913 à Sakaiminato, dans la préfecture de Tottori, dans le sud du Japon. Cette ville est un port encadré par une montagne célèbre et de nombreuses dunes.
Son père, Tsunejuro Ueda, était cordonnier, il fabriquait des socques de bois traditionnelles. Shoji est le troisième  et le seul survivant des quatre enfants de Tsunejuro et sa femme. Il suit les cours élémentaires dans cette ville en 1919 et découvre le dessin en 1922, et en 1923 la photographie et les bandes dessinées.
Il poursuit en 1925 ses études supérieures et en 1928 il se passionne pour la photographie. En 1929 son père lui achète son premier appareil photo. Mais la peinture reste son but premier.

 En 1930 Ueda a l'intention de suivre des cours à une école d'art à Tokyo pour devenir peintre, mais ses parents le lui refusent parce que
Ueda étant le seul fils, devait reprendre l’entreprise familiale.
Pour en quelque sorte le consoler, ses parents lui achètent un appareil photo haut de gamme, car ils préfèrent finalement qu'il s'oriente vers le métier de photographe, sorte d’artisanat aussi.
Après son diplôme en 1931 il rejoint des cercles de photographes dans les photo clubs locaux, avec qui il découvre les avant-gardes européennes en photos et en peinture.
Une de ses photos reçoit le prix mensuel du magazine Camera.

En 1931, il découvre des photos réalisées par Man Ray, Kertész et se lance dans des expérimentations analogues (solarisations, déformations...).
En 1932, il quitte sa ville natale pour Tokyo où il étudie brièvement à l'Oriental School of Photography. 
Après son retour à Tottori, il ouvre son propre studio de photographie dans sa ville natale, et devient photographe de quartier. 
Donc à 20 ans il va commencer son activité de simple artisan qu’il poursuivra toute sa vie, bien épaulé par sa femme Norie Shiraishi qu’il a épousée en1935. Grâce à cette précieuse aide il peut vagabonder au bord de la mer et saisir des moments fugitifs.
Au sein d’associations de photographes, il enseigne son art.
En 1937 Hiroshi, son premier fils, naît et en 1938 Kazuko sa première fille. 
Et en 1939 avec la photo Quatre Filles il réalise sa première mise en scène photographique pleinement aboutie, qui va définir dorénavant son style.

 http://www.espritsnomades.com/artsplastiques/ueda/ueda.html